Ep 3 - Les pratiques

3 - "Il n'y a pas d'homme cultivé ; il n'y a que des hommes qui se cultivent."... Les pratiques en question !


Nous l’avons rapidement évoqué précédemment, mais qu’es qu’une “pratique culturelle” ? Il s’agit de  la description statistique de comportement en rapport avec une activité préalablement déterminée comme culturelle…
Pour Pierre Mayol il y a 3 raisons pour lesquelles cette expression fut privilégiée :
_ “Par opposition à la consommation courante”. L’individu consomme et détruit ce qu’il a assimilé, au contraire, la culture est durable, elle nous enrichit sans dépérir. “Consommer c’est consumé”, la culture se pratique donc...
_ “Par influence de la pratique au sens marxiste du terme”. On mobilise ici le concept de "praxis (action en grec)", très en vogue dans les années 1970, date de naissance du concept. "Est pratique ce qui mobilise la lutte des classes, ce qui est un moyen de transformer le monde social"
Par analogie avec la pratique religieuse” . Pierre Mayol nous fait une étymologie particulièrement intéressante :  le mot culte désigne dans la vie culturelle commune la passion pour un artiste […] Les disques les films d’Elvis Presley sont objets de véritables cultes […] Les amoureux de Stendhal de Balzac, de Proust se côtoient dans des ‘chapelles’ invisibles, inconnues des autres […] Les salles obscures ont aussi leurs fidèles, ses pratiquants, et même ses envoutés….



I.1.2.1 Les sorties cultuelles
Le cinéma reste de loin la sortie culturelle, la plus effectuée, en en existe néanmoins d’autres, que nous allons survoler :
— Les musées et le patrimoine, en 2003, 55 % des Français ont visité un lieu du patrimoine, l’activité apparaît donc comme particulièrement populaire. On y note tout de même “une forte surreprésentation des classes supérieures et une forte sous-représentassions des classes populaires”. Mais les disparités sociales sont atténuées dès lors qu’il s’agit de musée à caractère technique ou scientifique.
— le cinéma est la sortie la plus fréquente (même si les possibilités de consommation à domicile se sont accrues ces 20 dernières années. En dehors des effets géographiques, la fréquentation du cinéma semble très liée à la catégorie socioprofessionnelle et au diplôme (surtout à propos de l’éclectisme des films regardés). Sans oublier, l’âge, la sortie du cinéma est “un attribut de l’autonomie culturelle des adolescents”
— les arts vivants. Cette sortie demeure très minoritaire. Les cadres et les diplômés de l’enseignement supérieur sont nettement surreprésentés dans le public du théâtre, des concerts (en particulier l’Opéra), ce sont des pratiques très “parisiennes”, que l’on peut qualifier de “pratiques d’exception”. Pour Di Maggio l’entrée d’un domaine artistique dans la sphère des arts vivants “résulte à la fois de son affranchissement des contraintes de maximalisation de l’audience imposé par le marché et des liens tissés avec le monde universitaire, à travers l’institutionnalisation d’une autorité culturelle et d’une expertise académique.”

I.1.2.2 La lecture
«Les milieux de la culture et de l’éducation s’alarment régulièrement d’une ‘crise’ de la lecture, imputée notamment à l’influence de l’industrie du divertissement». En effet, depuis quelques années on entend souvent de nombreuses plaintes ; les jeunes ne s’intéresseraient plus à la lecture, qui est pourtant pour beaucoup une pratique centrale : “la plus légitime des pratiques culturelles”. Pour Dominique Pasquier cette culture du livre est susceptible « d’ouvrir l’accès à la culture humaniste [donc] un avantage en terme de réussite scolaire ». Pour Bourdieu, la lecture est effectuée selon “un mode d’acquisition légitime”. L’amour de la lecture se transmet dès le plus jeune âge, mais il se transmet dans le cadre familial (l’école n’aurait pas d’incidence sur la chose). Et ces pratiques acquises dans l’enfance perdureraient tout au long de la vie d’un individu. La lecture apparaît donc être aux yeux du monde universitaire comme la pratique culturelle la plus légitime, «parée de vertus, que nul excès ne semble assombrir». Or P.Coulangeon fait une remarque essentielle dans l’acheminement de la pensée sur les différentes pratiques culturelles. Au XIXe siècle, la lecture n’était pas considérée comme une pratique légitime, loin de là, on parlait alors de “mauvaise lecture”. On note aujourd’hui avec amusement que les médecins mettaient alors en garde les femmes contre les dangers de “lectures incontrôlées”. On voit donc que la légitimité de la lecture s’est construite au fil du temps, et de l’avènement d’autres médias qui ont su attirer l’attention. Ce schéma, la construction de la légitimité, reviendra souvent au cours de l’étude des pratiques culturelles et des hiérarchies sociales.
Gérard Mauger et Claude Fossé-Poliak distinguent 4 types de lectures :
  1. La lecture de divertissement, c’est la plus dévalorisée, particulièrement accru chez les femmes et les adolescents, elle traduit une volonté d’évasion qui est souvent proportionnelle à l’implication sociale, elle fournit en quelque sorte un statut de substitution
  2. La lecture didactique, c’est un type de lecture relatif à l’envie d’apprendre de nouvelle chose avec plaisir. Elle traduit une intention pédagogique qui peut porter sur plusieurs domaines : technique, science, ou sur les choses humaines.
  3. La lecture de salut, c’est la recherche de performance intellectuelle (texte politique, religieux…). L’intention est beaucoup plus radicale que dans la lecture didactique. Cette lecture compense le manque de capital scolaire par exemple.
  4. La lecture esthète, c’est la forme la plus rare. Il s’agit du cas ou la lecture est sincèrement désintéressée. On lit, simplement par plaisir, sans stratégie sociale.
I.1.2.3 La musique
Dans notre société la musique est désormais partout, tous les médias (écrit, télévisé, radiophonique, numérique…) contribuent à propager les notes de musique, telle la bonne parole. Les supports se multiplient (CD, mp3, cassette, radio, internet…) rendant l’étude du rapport à la musique extrêmement complexe, mais aussi très intéressante. Pour Bourdieu “les préférences liées à la musique sont créditées d’un fort pouvoir de classement social”. Selon Passeron «l’éclectisme apparaît comme le privilège des nantis de la culture savante qui surajoutent au répertoire de la culture savante, un certain nombre d’emprunts aux pratiques illégitimes». C’est aussi le concept d’omnivore/univore  développé en Amérique du Nord au cours des années 90, les classes supérieures développeraient un gout pour l’éclectisme tandis que les classes populaires seraient univore, n’acceptant qu’un type de musique, ce concept contribue donc à redéfinir l’idée même, de légitimité culturelle qui semble désormais « moins fondée sur la proximité avec la musique savante que sur un certain pluralisme des goûts […]Si l’éclectisme éclairé qui procède le plus souvent d’une excursion mesurée dans le domaine des arts en voie de légitimation constitue bien une modalité particulière du raffinement esthétique, l’éclectisme indistinct constitue à l’inverse la disqualification la plus radicale de la compétence et du bon goût ». Autres compétences qui possèdent une grande influence sur le style de musique écouté (autre que la classe sociale) il s’agit de la variable : Age. L’effet de socialisation au sein du groupe des pairs, tourne à plein régime en particulier chez les adolescents. "La culture de chambre […] (Espace culturel autonome, échappant assez largement au contrôle des parents) fonctionne sur le mode du repère identitaire qui cimente les différents groupes". (Ce choix du style musical s’accompagnant très souvent du respect de code vestimentaire). Autre influence, le sexe, les femmes déclarent souvent une préférence pour la variété Française en particulier pour Philipe Coulangeon "on retrouve dans le domaine musical un clivage identique à celui qui oppose la lecture de roman, plutôt féminine, et la lecture d’essai ou d’ouvrage documentaire, plutôt masculine". Une dernière variable enfin qui serait de moins en moins stigmatisante, le diplôme, les jeunes générations de diplômé plébiscitent en effet les variétés, le rock, les musiques du monde, contre une infime minorité à citer l’opéra, la musique classique ou le jazz. Contrairement aux diplômes de plus de 50 ans.

I.1.2.4 Les pratiques domestiques (Télévision…)
La télévision est un média, mais il a beaucoup été étudié en tant que pratique culturelle. C’est même la principale activité de loisir culturel domestique. Entre un cinquième et un quart du budget des ménages lui est consacré. On dénombre 3 types d’usage courant de la télévision, les usages structuraux, relationnels et cognitifs.
_Le premier considère la télévision comme “un bruit de fond”. Celle-ci accompagne le quotidien, sans pour autant être particulièrement regardée, lors des tâches domestiques par exemple.
_Le second fait de la télévision un appareil de socialisation qui permet aux individus de discuter d’entré en interaction, elle leur permet de partager des points de vue ou des idées sur telle ou telle programme.
— Enfin, on distingue les usages cognitifs, “situation où la télévision exerce une fonction d’apprentissage”, ces apprentissages peuvent être conscients (émission culturelle, éducative…), mais aussi inconscients, car elle véhicule des comportements, des modes, voire des désirs.
Les lycéens sont particulièrement réceptifs à ce dernier usage, il permet de former des groupes d’intérêt. De la même manière l’usage structurel permet se sentir à l’aise au milieu de ses pairs, car regarder les mêmes programmes permet de ne pas se sentir “exclu”. Pour Dominique Pasquier on peut se “sentir vieux” même à l’adolescence, quand on a du mal à faire partager ces centres d’intérêt. Néanmoins, et pour tordre le cou aux idées reçues, les jeunes ne se sont pas rivés en permanence devant la télé, ils sont loin d’être les plus gros consommateurs. (Les plus assidus sont en fait, les plus de 55 ans).
Pour certains chercheurs la télévision représente le ciment culturel des classes moyennes. Elle exerce comme nous le dit Larmey une fonction de “regroupement” on regarde rarement la télévision solitairement. Les programmes donnent aussi lieu à de nombreux échanges, elle a une fonction socialisante pour les agents sociaux, qui l’a regarde autant par divertissement, que par stratégie (Il ne faut surtout pas manquer l’émission dont tout le monde parlera demain). Pour Boullier, la télévision est la “pratique culturelle, la plus banalisée […] est aussi la plus largement dévalorisée”. Pour B.Lahire, il n’est pas rare que les classes supérieures en parlent comme “d’un vice dégradant dont on essaie de se défaire”.
Évoquons enfin 2 théories qui d’affrontent autour de la réception de la télévision :
— La théorie des effets puissants : issu des philosophes critiques de la culture de masse, ce modèle attribue aux médias une grande influence sur les opinions culturelles et politiques.
— La théorie des effets limités : Initié par Paul Lazarsfeld, ce modèle souligne la capacité d’interprétation critique des destinataires en fonction de leur variable sociale.

I.1.2.5 Les pratiques amateurs (Bricolage, Internet…)
Dans cette partie nous allons étudier les pratiques culturelles amateurs, O. Donnat les définit comme étant l’ensemble des activités “pratiquées pour le plaisir, et à des fins personnelles ou pour un cercle restreint de proche ». Cette notion intègre donc les pratiques culturelles et artistiques (et dans une moindre mesure les semi-loisirs : jardinage, bricolage…), mais aussi ce qu’il convient désormais d’appeler les TIC, technologie de l’information et de la communication. Il existe donc 7 grandes catégories de pratiques amateurs :
  1. La photographie, elle est pratiquée par environ un français sur dix, cet “art moyen” comme l’a appelé Bourdieu est plus pratiqué par les professions intermédiaires que par les cadres supérieures (19 contre 20 %). À noter : parmi les photographes, seuls 15 % se sont essayés à la composition dite “artistique”
  2. L’écriture, environ 15 % des Français s’y adonnent, elle répond souvent “à des motivations personnelles dont la dimension artistique est assez prononcée”
  3. jouer de la musique, un quart des Français ont en fait au cours de leur vie. Qu’il s’agisse du chant ou de la pratique d’un instrument. Pour O.Donnat, les motivations sont différentes, la pratique du piano par exemple, répond souvent à une incitation parentale forte, en revanche la guitare s’inscrit dans les formes d’apprentissage plus autodidacte.
  4. et 5. Le théâtre et la danse sont en revanche pratiqués par 3,5 % de la population (en moyenne). Leur pratique est fortement liée à l’adolescence et aux premières années de l’âge adulte. Ces 2 pratiques sont quasi exclusivement féminines.
  1. Les semi-loisirs (jardinage, bricolage, couture..) sont des activités en lien avec le travail, mais conçu comme des activités d’expression de soi dans le temps libre (avec une dimension d’épanouissement personnel et de créativité…)
  2. Les TIC, “facilite les transgressions […] de la frontière entre loisirs et travail, consommation et production” elles créent de nouvelles activités de loisir (téléchargement, activité culturelle numérique : dessiner, écrire…). L’ambivalence est totale entre travail et loisir.


Il n'y a pas d'homme cultivé ; il n'y a que des hommes qui se cultivent. Citation de Ferdinand Foch.

Categories: Share

About

France
Diplômé en Sociologie et Politique culturelles (option analyse Statistique)